Le soir, elle enfile sa robe. Elle l’a acheté dans l’après-midi, c’est une belle robe. Elle prend son temps, prend soin d’elle, se maquille et met ses talons hauts. Le soir, elle file à l’opéra. Seule, car elle n’a besoin de personne. Seule, car la musique lui suffit. Seule, car elle est actrice de sa vie. Pendant une soirée, il n’y a qu’elle, la musique et la nuit. Elle voit la beauté dans tout ce qui l’entoure, le silence et l’observation la font vibrer. Elle dessine, elle lit. Elle se sent vivre. Ses ami·e·s ne la comprennent pas tout le temps, mais elle vit comme elle l’entend.
Nini, vingt et un ans, est géorgienne. Elle est arrivée en Suisse à l’âge de seize ans et elle envisage sa vie comme un film. Et c’est vrai que sa vie ressemble à un film. Dans le ventre de sa mère, les médecins lui annoncent que l’enfant ne pourra pas vivre. Mais Nini est là. C’est d’ailleurs sa condition qui les fera venir à Genève, mère et fille. Nini ne devait pas marcher. Et pourtant, elle visite tous les musées de la ville, tous les premiers dimanches du mois. Elle se balade au bord du lac, elle arpente la cité.
À côté de ses visites médicales, elle commence l’école à domicile pour apprendre le français, puis à mi-temps en présentiel. Cinq ans d’opérations qui lui donnent le temps de penser à son futur et à ses envies, le temps de se connaitre aussi. Cinq ans pour apprendre le français et pouvoir enfin visualiser un avenir.
« La connaissance est aussi un chemin pour se connaître soi-même. » Nini
Elle vous le dira elle-même, Nini est une personne sérieuse, stable, déterminée, elle a des objectifs clairs. Ses passions sont pour son plaisir. Pour le travail, elle vise la sécurité. Et Nini sait ce qu’elle veut faire : travailler dans une banque.
À l’école, sa professeure propose à la classe de participer à des ateliers pour renforcer la confiance en soi, toujours partante, Nini accepte. Ces ateliers, ce sont ceux de Yojoa. Cette rencontre lui permettra d’affirmer ses choix. En effet, l’équipe de Yojoa lui propose de faire un stage à BNP Paribas quelques mois plus tard. Elle le savait, elle travaillera dans une banque
« C’est à moi de prendre des décisions pour continuer dans ce sens, pour être actrice de ma vie. Je suis confortable avec moi-même. » Nini
« Ah mais tu connais ? » Elle a tant entendu ces mots. « Et pourquoi je ne connaitrais pas ? », se dit-elle. Ces situations la questionnent, lui donnent envie de dire que ce n’est pas parce qu’elle n’est pas née ici qu’elle ne connait rien en dehors de son pays. Qu’elle ne comprend pas pourquoi les gens mettent dans des cases, s’arrêtent à certaines données. Que nous sommes toutes et tous différent·e·s et qu’on ne peut juger personne tant qu’on ne connait pas.
Mais il lui en faut plus pour la déstabiliser. Très connectée à elle-même, libre et confiante, Nini, vingt et un ans, continuera son chemin à l’école de commerce, entourée de musique, d’art et de balades.
*image en première page:
Autoportrait, Nini, juillet 2023, Genève.